De l'institution à la révolution – décrypter l'idéalisme parlementaire pour nourrir l'action concrète au PCF et ailleurs

Pierre Ouzoulias : L’échec d’une analyse matérialiste de l’antisémitisme

Le 20 février 2025, au Sénat…

Le 20 février 2025, au Sénat, le sénateur communiste Pierre Ouzoulias a prononcé un discours enflammé contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur. (Vous trouverez en bas de cette page le texte de son intervention.) Mais derrière ses indignations morales, il a commis une faute théorique majeure : il a abandonné l’analyse matérialiste au profit d’un idéalisme creux.

Ouzoulias dépeint l’antisémitisme comme une force intemporelle, une
« obsession qui traverse le temps » sur plus de deux millénaires, érigée en pilier de la pensée occidentale donnant sens au monde. Une telle vision découpe l’histoire en abstractions figées, indépendantes des conditions matérielles. En rompant avec la méthode du matérialisme dialectique, Ouzoulias tourne le dos à l’héritage marxiste et commet une faute politique lourde, mais symptomatique de l’état de déshérence dans lequel se trouve le PCF actuellement.

Pour les communistes, ce ne sont pas les idées éternelles qui font l’histoire, mais les rapports matériels.

« Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c’est au contraire leur être social qui détermine leur conscience »
comme disait l’autre. En d’autres termes, les idéologies (comme l’antisémitisme) naissent des conditions historiques et des conflits de classe, non de quelque mal absolu flottant hors du temps. En oubliant cette leçon élémentaire, Ouzoulias trahit la base même du communisme. Il remplace l’analyse concrète par un moralisme abstrait, multipliant les proclamations de principes généraux sur le Mal de l’antisémitisme, sans jamais remonter aux causes socio-économiques réelles.

Cette dérive idéaliste se manifeste également par la confiance quasi mystique qu’il place dans l’État républicain. Au lieu de voir la République comme un produit historique des luttes de classe, donc traversée de contradictions, Ouzoulias l’érige en entité morale pure, censée nous protéger du fléau antisémite. Il s’adresse aux étudiants juifs en les appelant « chers frères et sœurs en humanité », pour leur assurer que « la République ne vous oublie pas » – comme si l’État était un ange gardien bienveillant, au-dessus des intérêts de classe. Ce fétichisme de la République bourgeoise va à l’encontre de toute la tradition marxiste qui enseigne que l’État n’est jamais neutre. En idéalisant l’État au lieu de le critiquer, Ouzoulias s’égare dans l’illusion institutionnelle.

Enfin, il affiche un fétichisme de la loi et de l’universalisme abstrait. Certes, admet-il, « cette proposition de loi ne changera pas les mentalités » – aveu lucide mais immédiatement annulé par son appel incantatoire à l’esprit républicain. Il croit que réaffirmer des valeurs dans un texte législatif suffira à combattre la haine, comme si la loi, par sa seule vertu symbolique, pouvait refaire le réel. Cette foi exagérée dans l’arsenal juridique au détriment du rapport de force concret est une posture réformiste bien connue.

En somme, le discours d’Ouzoulias représente le « crétinisme parlementaire » et le moralisme impuissant au sein d’un parti qui se réclame du communisme. Sa démarche idéaliste – obsession morale, culte de l’État, fétichisation de la loi – est foncièrement antimarxiste et donc anticommuniste. Le communisme ne saurait tolérer qu’un de ses représentants renonce ainsi à l’analyse matérialiste pour un délire idéologique.

Dans le texte qui suit, nous allons tenter de démonter chaque aspect de cette dérive, en montrant pourquoi l’idéalisme d’Ouzoulias est incompatible avec le communisme et constitue une impasse politique dangereuse pour la lutte émancipatrice.


1. L’Antisémitisme : une arme des dominants, pas une abstraction morale

Pierre Ouzoulias traite l’antisémitisme comme une idée quasi métaphysique, un mal absolu qui existerait en dehors de l’histoire. Selon lui, l’antisémitisme « sévit depuis plus de deux mille ans », de l’Antiquité à nos jours, sous des formes changeantes mais avec une continuité d’obsession meurtrière. Cette présentation en fait presque une malédiction éternelle de l’humanité, une idée indépendante des contextes sociaux. Or, pour un marxiste, c’est là une erreur fondamentale.

Au contraire, une analyse matérialiste montre que l’antisémitisme, comme d’autres racismes et xénophobies, est né et a prospéré en lien étroit avec les rapports de production et de domination. Il n’est pas une essence mystique traversant les siècles, mais une arme politique maniée par les classes dirigeantes à divers moments pour servir leurs intérêts.

Partout et toujours, la haine anti-juive a été attisée pour détourner les colères populaires des vrais responsables. En période de crise économique ou sociale, pointer du doigt une minorité commode – les Juifs – permet aux dominants de faire oublier la lutte des classes en cours. Nombre d’historiens contemporains le rappellent : l’antisémitisme ressurgit typiquement dans les périodes d’incertitude politique ou économique, souvent utilisé comme outil de manipulation politique ou de bouc émissaire. En clair, quand le système vacille, les puissants encouragent les préjugés pour diviser le peuple.

Les exemples abondent. Au Moyen Âge, l’endettement des rois auprès de prêteurs juifs, parmi d’autres, se soldait souvent par l’expulsion ou le massacre des juifs, moyen cynique d’effacer les dettes et de contenter le peuple en colère – une manœuvre bien matérielle, loin d’une haine « éternelle ». Dans la France du XIXe siècle, l’antisémitisme moderne a explosé après le krach bancaire de l’Union générale en 1882, lorsque la faillite de cette banque catholique fut imputée aux financiers juifs pour détourner la vindicte populaire. Édouard Drumont, auteur de La France juive, se fit alors le champion d’un antisémitisme démagogique, accusant les « 300 familles » juives de ruiner la nation – un moyen commode pour les élites catholiques et nationalistes de détourner la colère des petits épargnants ruinés.

On voit bien ici l’antisémitisme servir de paratonnerre aux tensions sociales : au lieu de remettre en question le système capitaliste ou la haute finance (majoritairement chrétienne), on concentre la haine sur la figure du « Juif », bouc émissaire idéal. En Russie tsariste, même scénario : le régime autocratique, confronté à la misère paysanne et aux fermentations révolutionnaires, a encouragé les pogroms antijuifs pour détourner la fureur des masses. Le Tsar et sa police secrète (Okhrana) laissaient volontiers déferler ces violences contre les Juifs : pendant que les pogroms ensanglantaient les shtetls, les véritables oppresseurs – l’aristocratie foncière et la bureaucratie tsariste – pouvaient dormir tranquilles.

Là encore, l’antisémitisme fonctionnait comme une soupape et un divertissement de la lutte des classes : les paysans affamés étaient poussés à haïr leurs voisins juifs plutôt que les grands propriétaires. Dans l’Allemagne nazie, enfin, l’antisémitisme atteignit un paroxysme génocidaire tout en remplissant parfaitement son office politique : Hitler accusa les Juifs d’être responsables de la défaite de 1918, de la crise économique et du « complot judéo-bolchevique », détournant ainsi la rage du peuple contre une minorité plutôt que contre les magnats de l’industrie qui l’avaient porté au pouvoir.

Cette idéologie servait d’« explication » simpliste à des catastrophes sociales autrement complexes. L’antisémitisme possède une dimension pseudo-anticapitaliste : il donne aux masses une image de l’ennemi qui n’est pas la bourgeoisie en général, mais un prétendu « complot juif » particulier, ce qui détourne la colère des exploités vers une cible fictive. En ce sens, l’antisémitisme offre un « vernis anti-système » trompeur qu’aucun autre racisme ne propose, d’où sa persistance à travers les crises du capitalisme.

Auguste Bebel, dirigeant socialiste allemand, avait déjà résumé cela d’une formule limpide :

« L’antisémitisme est le socialisme des imbéciles ».

Par là, il désignait justement la tendance de certains à attribuer les maux sociaux aux « Juifs » au lieu de comprendre qu’ils proviennent du système capitaliste. L’antisémitisme est un leurre, un faux socialisme qui inverse la véritable critique : au lieu de s’attaquer au grand capital (juif et non-juif), on s’attaque aux juifs (riches ou pauvres) en croyant combattre le capital. En cultivant ce leurre, ce sont les forces réactionnaires qui rient, car pendant que les opprimés se trompent d’ennemi, l’exploitation peut continuer.

Ainsi, considérer l’antisémitisme comme une idée purement morale et anhistorique, c’est tomber dans le panneau idéaliste et nier sa fonction concrète de diversion de la lutte des classes. Ouzoulias, en parlant de l’antisémitisme comme d’une essence du mal occidental depuis l’Antiquité, passe complètement à côté de cette réalité. En oubliant que la haine anti-juive est attisée par des intérêts de classe et qu’elle sert d’arme politique aux dominants, il commet une erreur d’analyse gravissime pour un communiste.

Son explication relève de la morale abstraite (« le Mal antisémite ») là où une explication matérialiste dévoilerait les rapports sociaux (diviser pour régner, protéger la classe possédante en détournant la colère populaire). En somme, l’idéalisme d’Ouzoulias masque les véritables causes de l’antisémitisme – causes qu’il faut combattre par la lutte des classes et l’éducation politique, et non par de seules incantations morales.


2. La République bourgeoise : un fétiche qui ne protège personne

Face à la montée actuelle des actes antisémites, Pierre Ouzoulias en appelle solennellement à la République. Dans son discours, il exhorte à défendre les « valeurs républicaines » et semble croire que la République elle-même – en tant qu’idéal intemporel – est la victime des antisémites (« ses résurgences affaiblissent l’idéal républicain », dit-il). Surtout, il implore la République de protéger les étudiants juifs menacés, leur promettant que « la République ne [les] oublie pas ».

Cette foi quasi religieuse dans l’État républicain trahit une touchante naïveté de la part d’un homme qui se dit communiste. Car la République française, comme tout État sous le capitalisme, est avant tout un appareil de domination et non un bouclier impartial des minorités opprimées. Depuis Marx et Engels, les communistes ont toujours dénoncé l’illusion de l’État au-dessus des classes :

« Le pouvoir d’État moderne n’est qu’un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière ».

En clair, l’État républicain n’est pas neutre : il sert, par sa structure même, les intérêts de la classe dominante – la bourgeoisie. Les grandes déclarations de principes (Liberté, Égalité, Fraternité…) ne doivent pas faire illusion : concrètement, les institutions républicaines (gouvernement, tribunaux, police, école…) fonctionnent comme autant de rouages pour maintenir l’ordre établi, c’est-à-dire la domination du Capital sur le Travail. Croire que cet État-là protégera spontanément une minorité victime de haine, c’est oublier qu’il tolère et instrumentalise bien souvent cette haine tant qu’elle ne menace pas l’ordre social dominant.

L’histoire de la République bourgeoise en France est malheureusement là pour le prouver. Combien de fois l’État républicain a-t-il effectivement protégé les opprimés sans y être contraint ? Ouzoulias semble l’ignorer, mais la Troisième République – qu’il tient sûrement pour le modèle de la laïcité triomphante – a laissé prospérer l’antisémitisme jusqu’au cœur de ses appareils. L’Affaire Dreyfus a montré une armée, des juges et une presse prêts à condamner un homme innocent parce qu’il était juif, au nom de la « raison d’État ». Il a fallu une intense mobilisation d’intellectuels et de socialistes dreyfusards pour arracher la réhabilitation de Dreyfus, contre une bonne partie de l’appareil républicain de l’époque.

Même lorsqu’elle affiche des principes égalitaires, la République bourgeoise ne les applique que sous la pression. Ouzoulias semble oublier que la France républicaine a produit le régime de Vichy – certes illégitime, mais issu de la chute lamentable de la IIIe République face à l’invasion nazie. Et que faisait la République quelques années avant Vichy ? Elle tirait sur des manifestants coloniaux. Le 17 octobre 1961, sous la Ve République du général de Gaulle, la police parisienne organisait une véritable chasse à l’homme contre les Algériens pacifiques qui manifestaient pour l’indépendance.

Bilan : des dizaines d’Algériens furent abattus d’une balle dans la tête, tabassés à mort ou jetés, encore vivants, dans la Seine par les forces de l’ordre tricolores. Des cadavres d’Algériens flottant sous les ponts de Paris – voilà aussi la République. Et il a fallu plus de 50 ans pour que l’État admette (du bout des lèvres) ce crime de masse.

Que dire aussi de la longue complaisance de la République française envers l’extrême droite antisémite ? Dans les années 1930, la IIIe République a toléré sur son sol les ligues factieuses antisémites (Croix-de-Feu, Action française)qui attaquaient les métèques et les Juifs. Elle n’a dissous ces ligues fascisantes qu’après qu’elles eurent failli prendre d’assaut la Chambre en 1934. Et c’est un gouvernement du Front populaire (donc contraint par la mobilisation ouvrière) qui a pris ces mesures. Sans la pression des communistes et des socialistes, la République laissait faire.

Plus près de nous, la Ve République a pendant des décennies minimisé les crimes antisémites de l’Occupation (le rôle de Vichy dans la déportation des Juifs a longtemps été nié ou euphémisé par l’État français d’après-guerre). Ce n’est qu’en 1995, sous Jacques Chirac, que la République a officiellement reconnu sa part de responsabilité dans la Shoah. Bref, rien n’est jamais donné spontanément par l’appareil d’État bourgeois – tout progrès, toute protection des opprimés a dû être arrachée de haute lutte.

Ouzoulias, lui, idolâtre la République comme si son simple évocation suffisait à rassurer les victimes de racisme. Il affirme gravement que « la République ne [cedera] pas » face à l’antisémitisme. Hélas, l’histoire nous enseigne l’inverse : la République cède toujours… jusqu’à ce qu’un rapport de force populaire l’oblige à changer. Par défaut, l’État sert les dominants, pas les opprimés.

Jamais les minorités n’ont été protégées par l’État sans une puissante mobilisation. Le mouvement ouvrier, les associations antiracistes, les intellectuels critiques – voilà les acteurs des progrès, que l’État finit parfois par entériner, mais rarement de son propre chef.

En refusant de voir la nature de classe de l’État, Ouzoulias verse dans un fétichisme républicain dangereux. Il fait croire que brandir la Marianne et crier « Vive la République » suffira à faire reculer les antisémites, alors que ceux-ci pullulent y compris dans les appareils d’État (combien de policiers et de généraux acquis à l’extrême droite ?). Il en appelle à l’institution même qui, sous d’autres cieux, a opprimé les Juifs et bien d’autres.

C’est un leurre politiquement désarmant : si on pense que « la République » va nous sauver, on baisse la garde dans la construction du rapport de force autonome. Les communistes authentiques ont toujours appelé à la méfiance critique vis-à-vis de l’État bourgeois, fût-il républicain, et à l’auto-organisation des travailleurs et des opprimés pour défendre leurs droits. En oubliant cela, Ouzoulias commet une faute stratégique. Il prêche une confiance naïve envers un État qui, sans contrôle populaire, restera un état-major de la bourgeoisie. C’est désarmer idéologiquement le camp progressiste que de semer de telles illusions.


3. L’Université : champ de bataille idéologique, pas sanctuaire neutre

Une partie du discours d’Ouzoulias exprime la nostalgie d’une université idéalisée. Il déplore que « l’université [ait] été le théâtre d’anathèmes violents et d’ostracismes idéologiques » après les événements du 7 octobre et la guerre de Gaza (Comptes rendus analytiques officiel). Il aurait voulu que le campus reste « le lieu du débat rationnel » apaisé (Comptes rendus analytiques officiel)au-dessus des passions politiques.

Cette vision d’une université sanctuaire neutre, havre de Raison pure, est un mythe libéral que la réalité a toujours démenti. L’université n’a jamais été un temple isolé des conflits sociaux : c’est un champ de bataille idéologique permanent. En s’imaginant qu’elle pourrait être apolitique, Ouzoulias montre une méconnaissance totale du rôle réel de cette institution dans la société de classes.

Depuis sa massification, l’université est traversée par les contradictions du monde. Les luttes qui s’y déroulent – conflits d’idées, mobilisations étudiantes, affrontements entre courants politiques – reflètent en fait les luttes de classe au sens large. Comme l’analysait le marxiste Louis Althusser, l’école et l’université font partie des Appareils idéologiques d’État : ce sont des institutions par lesquelles la classe dirigeante transmet son idéologie pour perpétuer son pouvoir.

Loin d’être neutres, les enseignements, les programmes, le climat intellectuel dans les facs sont imprégnés de valeurs dominantes qui visent à naturaliser l’ordre établi. Bourdieu et Passeron l’ont brillamment démontré : le système d’enseignement produit et légitime des idéologies, il reproduit la structure sociale en faisant passer pour méritocratique et neutre ce qui est en réalité biaisé en faveur des classes dominantes. L’université est un lieu où se joue la lutte pour l’hégémonie culturelle (pour reprendre Gramsci) : les différents groupes sociaux y combattent, directement ou indirectement, pour imposer leur vision du monde aux futurs cadres de la société.

Par conséquent, il est illusoire de croire que l’université pourrait être un espace éthéré de débat purement rationnel, préservé des « anathèmes » idéologiques. La neutralité absolue n’existe pas. Quand Ouzoulias regrette qu’il y ait des conflits idéologiques sur les campus, il déplore en fait que la lutte des idées s’y manifeste au grand jour. Mais fallait-il s’attendre à autre chose ?

Déjà dans les années 1960, l’université était un foyer de contestation : le Mouvement du 22 mars 1968 est né à Nanterre, d’étudiants politisés qui dénonçaient l’impérialisme et le conservatisme de l’institution universitaire. Le soulèvement de Mai 68 a embrasé les universités avant de gagner les usines. Preuve éclatante que l’université était un lieu de combat politique, où une jeunesse révoltée a affronté l’idéologie gaulliste et capitaliste. À l’époque déjà, certains conservateurs pleuraient la fin de l’université « tranquille ».

Mais cette tranquillité n’a jamais été que l’absence de remise en cause de l’ordre établi. Dès que des idées critiques surgissent (contre la guerre du Vietnam, contre le colonialisme, contre le capitalisme), le vernis de neutralité saute et l’affrontement apparaît. Aujourd’hui, l’université continue d’être un miroir des tensions sociales.

Que voit-on ces dernières années ? La montée de mouvements dits « décoloniaux », de critiques de l’islamophobie d’État, qui contiennent eux aussi leur lot d’idéalismes de remises en cause du récit national – et en face, la réaction furieuse des tenants de l’ordre (jusqu’au plus haut niveau de l’État, avec les campagnes contre « l’islamo-gauchisme » à l’université). Le campus est un microcosme où s’opposent des visions du monde. Il n’est pas surprenant que dans le contexte brûlant du conflit israélo-palestinien, ces oppositions se soient exacerbées.

Après le 7 octobre 2023 (attaque du Hamas en Israël) et la guerre à Gaza qui a suivi, les passions politiques se sont enflammées dans les amphis – c’était inévitable. Des étudiants pro-israéliens et pro-palestiniens se sont affrontés verbalement, parfois violemment, des réunions ont dégénéré, des propos antisémites ont été tenus par une infime minorité, tandis que d’autres brandissaient l’accusation d’antisémitisme à tort et à travers pour faire taire toute critique d’Israël. Bref, l’université a reflété le déchirement de la société française sur cette question.

Comment Ouzoulias peut-il feindre la surprise ? Pensait-il vraiment que « le débat rationnel » allait régner spontanément ?

En réalité, Ouzoulias semble regretter que l’université ne soit plus un « sanctuaire républicain » où tout le monde se tiendrait par la main en défendant les mêmes valeurs modérées. Mais cette vision est celle de la bourgeoisie, qui a longtemps dominé culturellement l’Université. Lorsque la contestation prend de l’ampleur et que des idées radicales percent, les dominants crient au scandale et à la « politisation » de l’Université – alors qu’elle a toujours été politique, mais d’une politique qui ne disait pas son nom (la défense implicite de l’ordre établi).

Il vaut bien mieux assumer que l’université est un lieu de combat idéologique et y mener la bataille des idées de façon franche, plutôt que de rêver d’un âge d’or neutre qui n’a jamais existé. Par ailleurs, Ouzoulias propose en creux davantage de surveillance bureaucratique pour rétablir le calme : il soutient l’idée de meilleurs systèmes de signalement des actes antisémites, de sanctions académiques renforcées, etc.

Personne ne niera qu’insulter ou menacer un étudiant juif doit être sanctionné. Mais réduire la lutte contre l’antisémitisme à un encadrement administratif plus strict de la vie universitaire, c’est avoir une guerre de retard. Cela risque surtout de renforcer la pesanteur policière sur le campus et de brider les libertés académiques sans résoudre le fond du problème.

Car un débat étouffé artificiellement n’élimine pas les haines, il les rend juste moins visibles – jusqu’à ce qu’elles explosent ailleurs. Si l’université impose un bâillon généralisé sur toute expression un peu virulente concernant Israël ou les questions identitaires, on ne fera qu’exacerber les frustrations. Les antisémites convaincus ne seront pas « rééduqués » par un règlement intérieur, ils se sentiront au contraire confortés dans leur posture de rebelles persécutés. Et inversement, les étudiants antiracistes qui voudront discuter de la politique israélienne craindront d’être accusés à tort d’antisémitisme.

Bref, un climat de méfiance généraliséeBig Brother académique, qui ne profitera qu’aux réactionnaires. Non, la solution ne peut venir que de la politique au grand jour, pas de la censure technocratique. Il faut que sur les campus, les organisations étudiantes, les syndicats, les associations antiracistes, mènent un travail de terrain pour convaincre, expliquer, mettre en échec les discours antisémites par la confrontation argumentée.

Il faut laisser s’exprimer les tensions pour mieux les sublimer dans un débat politique de haut niveau. Croire qu’un campus pourrait être un havre aseptisé est une chimère de mandarins. L’université est un champ de classe comme un autre, traversé par l’idéologie dominante et les idéologies contestataires. À nous, communistes et progressistes, d’y mener la lutte idéologique en faveur de l’internationalisme, de la solidarité entre étudiants de toutes origines, de la conscience de classe plutôt que des replis identitaires.

Or, Ouzoulias, en bon idéaliste, semble penser que l’administration (la République, la loi, le rectorat…) va harmoniser tout cela d’en haut. C’est encore une fois une abdication de la méthode marxiste. Marx nous a appris que

« les idées dominantes sont celles de la classe dominante »,
et qu’il faut construire une contre-hégémonie dans la société civile.

L’université fait partie de cette bataille. Imaginer qu’elle puisse être neutre, c’est en réalité la livrer pieds et poings liés à l’idéologie dominante, car « le neutre » est souvent le faux-nez du dominant. Les appels d’Ouzoulias à une université apaisée sonnent creux : ils masquent mal une capitulation devant la vigueur de la lutte idéologique actuelle.

Plutôt que de prendre parti clairement (par exemple en affirmant que l’antisémitisme doit être combattu politiquement par les étudiants eux-mêmes, en alliance avec tous les antiracistes), il se réfugie dans une posture surplombante de juge moral déplorant les excès de chaque camp. En somme, Ouzoulias rate ici l’occasion de rappeler une vérité : l’Université n’est pas au-dessus de la mêlée, elle est l’un des terrains de la mêlée.

Ceux qui la fréquentent – étudiants, profs, personnel – doivent y mener la lutte idéologique consciemment, et non s’en remettre à un providentiel « sanctuaire » républicain. En peignant l’université en sanctuaire profané par des idéologues perturbateurs, Ouzoulias reprend à son compte le discours conservateur (celui de Vidal parlant d’« islamo-gauchisme à l’université » par exemple). Il jette l’opprobre sur l’effervescence intellectuelle actuelle au lieu de la saisir comme une chance de politisation. C’est une méconnaissance totale du rôle réel de l’université et de son histoire.


Conclusion : Communisme ou capitulation, il faut choisir

Le discours de Pierre Ouzoulias du 20 février 2025 apparaît comme un concentré des dérives idéologiques qui affaiblissent le Parti communiste français depuis des décennies. Sous couvert de combativité morale, il acte en réalité une capitulation intellectuelle. En abandonnant la méthode matérialiste dialectique pour un prêchi-prêcha idéaliste, Ouzoulias s’éloigne du communisme et épouse les illusions du réformisme bourgeois.

Son approche est erronée et dangereuse. Premièrement, sa conception de l’antisémitisme comme idée éternelle occulte sa nature d’outil politique lié aux rapports de classe. Ouzoulias en reste à la surface des choses (le mal, la haine), là où un marxiste doit dévoiler la racine socio-économique et les fonctions stratégiques de ce poison idéologique.

Ce faisant, il désarme la lutte antifasciste, car on ne combat pas un ennemi mal défini. En refusant d’identifier clairement l’antisémitisme comme une arme des dominants pour diviser les dominés, il prive les antiracistes du levier de la conscience de classe. C’est une faute politique majeure : on ne vaincra pas l’antisémitisme sans attaquer les intérêts qu’il sert. Pour un communiste, taire cette vérité, c’est trahir la lutte.

Deuxièmement, Ouzoulias exprime une confiance naïve dans la République bourgeoise, comme si l’État était un arbitre bienveillant au-dessus des classes. C’est une erreur de principe – Marx nous a appris que l’État est partie prenante de la domination de classe – et une erreur tactique, car l’histoire a montré que sans mobilisation, la République ne protège personne.

En idéalisant la République, Ouzoulias détourne les opprimés de leur propre force. Il leur dit en substance : « Fiez-vous à l’État », là où un communiste devrait dire : « Ne comptez que sur vos luttes ». Ce glissement est lourd de conséquences : il perpétue les illusions légalitaires qui ont tant affaibli le mouvement ouvrier français en l’enchaînant à l’illusion parlementaire. C’est une impasse stratégique complète.

Troisièmement, sa vision de l’université comme sanctuaire neutre trahit une incompréhension des appareils idéologiques. En refusant de voir que l’université est un champ de bataille idéologique traversé par la lutte des classes, il se place du côté de l’ordre établi (qui prône la “neutralité” pour mieux régner).

Plutôt que d’armer idéologiquement les étudiants et universitaires pour mener la bataille des idées contre l’antisémitisme et toutes les formes d’oppression, il appelle à un impossible retour au calme plat bureaucratique. C’est, là encore, une capitulation : on laisse entendre qu’il y a quelque chose d’inapproprié à combattre férocement les idées réactionnaires sur le campus.

Au contraire : il faut les combattre férocement, idéologiquement, politiquement. En prônant la modération et le sanctuaire, Ouzoulias prend le risque de neutraliser les forces progressistes universitaires au moment où elles devraient avancer à l’offensive.

Au total, le discours d’Ouzoulias, sous ses dehors indignés, recycle en fait les vieilles lunes social-démocrates qui ont neutralisé le PCF : exaltation incantatoire de la République, défense d’une laïcité abstraite comme substitut à la lutte concrète, refus de nommer l’ennemi de classe.

Ce sont ces illusions-là qui conduisent le PCF à l’échec, en le coupant des masses populaires et en le rendant incapable d’offrir une alternative révolutionnaire crédible. Reprendre ce chemin aujourd’hui serait suicidaire pour qui veut renouer avec un communisme combatif.

Il faut donc choisir : communisme ou capitulation.

Le communisme à la française, c’est la méthode du matérialisme dialectique, l’analyse sans complaisance des rapports de classe, l’action révolutionnaire et l’urgence parlementaire.

Un pied dans la révolution, un pied dans les institutions, le dernier servant le premier.

La capitulation, c’est l’alignement sur le crétinisme parlementaire, le retour au moralisme abstrait, la dépendance vis-à-vis de l’État bourgeois. Pierre Ouzoulias, par son idéalisme, s’inscrit clairement – fût-ce involontairement – dans la seconde voie. Son discours est incompatible avec le communisme, car il en renie les fondements théoriques et pratiques.

Le choix est clair. Ouzoulias, en cédant aux sirènes de l’idéalisme, a fait le mauvais. Aux communistes de faire l’autre – celui de la fidélité au matérialisme marxiste. Car comme le disait Marx,

« les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, il s’agit maintenant de le transformer ».

Il est temps de transformer radicalement notre approche de la lutte contre l’antisémitisme : la replacer sur le terrain de la lutte de classe, seule façon d’attaquer le mal à la racine. Ni morale creuse, ni République providence : la révolution sociale, voilà l’horizon du combat antifasciste et antiraciste conséquent. Tout le reste n’est que capitulation et verbiage.


Texte du discours de Pierre Ouzoulias :

L’antisémitisme sévit depuis plus de deux mille ans : il lie la destruction du temple juif d’Éléphantine en 410 avant notre ère, l’anathème lancé par Justin de Naplouse au IIe siècle contre le « peuple déicide », l’antisémitisme racial de Drumont et Barrès et la Shoah. Selon David Nirenberg, il est un pilier de la pensée occidentale, car il offre un cadre théorique qui donne un sens au monde.

Combattre l’antisémitisme exige de regarder avec lucidité l’histoire de notre pays et ses supposées racines judéo-chrétiennes. Louis IX, dit Saint Louis, dont la statue nous regarde, organisa en 1240 une controverse publique sur le Talmud, déclaré « livre infâme » : un autodafé fut organisé place de Grève. En 1269, il imposa à tous les juifs de porter une rouelle jaune sur leur vêtement. Napoléon Bonaparte, dont le buste orne notre hémicycle, prit trois décrets pour « arracher plusieurs départements à l’opprobre de se trouver vassaux des juifs », visant des « pratiques contraires à la civilisation et au bon ordre de la société ».

L’antisémitisme n’est pas un racisme comme les autres, car, selon François Rachline, si « le racisme est un rejet de l’autre, l’antisémitisme est le refus d’une éthique ». Ses résurgences affaiblissent l’idéal républicain en réduisant l’individu à ses origines supposées. La lutte contre les discriminations n’est plus conduite au nom de l’égalité, mais par l’affirmation victimaire des identités particulières, au risque d’aboutir à une vitrification de la société.

L’université est traversée par ces conflits idéologiques, exacerbés par le pogrom du 7 octobre et la guerre de Gaza. Elle aurait dû être lieu du débat rationnel ; elle a été le théâtre d’anathèmes violents et d’ostracismes idéologiques. La hausse avérée d’expressions antisémites sur les campus est irrémissible.

J’ai honte que neuf étudiants juifs sur dix se sentent menacés par un antisémitisme manifeste ou latent. Certes, cette proposition de loi ne changera pas les mentalités, mais elle réaffirme notre soutien à tous les étudiants juifs. Chers frères et sœurs en humanité, la République ne vous oublie pas.

(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, du RDSE et sur quelques travées du groupe SER et du GEST)